Comment terminer un morceau ? Essayez le “mélange thématique” !

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Comment terminer un morceau ? Essayez le “mélange thématique” !

, par , dans Composition musicale, Dans l’atelier du compositeur, Outils / Conseils, Technique d’écriture —  5 min.

Cet article concerne uniquement les morceaux conçus au moyen d’éléments thématiques, qu’il s’agisse de thème véritables ou de simples motifs.

Lorsque je planifie un morceau, l’une des astuces que je préfère pour le terminer, est d’employer le mélange thématique. Je m’expique : au cours de la pièce, je présente et développe mes thèmes ou motifs indépendamment, mais pour la fin, j’aime que l’ultime développement leur donne sens les uns par rapport aux autres, en les utilisant de façon très resserrée, voire en les superposant, à la manière d’un puzzle dont on découvre l’image complète une fois la dernière pièce posée et assemblée avec le reste.

Cette façon de procéder peut être particulièrement utile en musique de film, où le développement doit s’étirer sur de nombreux courts morceaux, pour ensuite synthétiser différentes idées et créer une accélération virtuelle.

Je vais donc vous montrer deux exemples dans ma musique : le premier est tiré du Finale de mon cycle pour grand orchestre symphonique et chœur mixte “Le Tombeau de Dracula”, le deuxième est le dernier morceau de “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur”.

Un Exemple dans “Le Tombeau de Dracula”

“III. Finale” est la troisième et dernière pièce de mon cycle “Le Tombeau de Dracula”, que j’avais écrit lorsque j’étais tout jeune (entre 11 et 15 ans !). Pour apporter une conclusion un peu plus intéressante non seulement à cette œuvre mais aussi au cycle dans son entier, j’ai réutilisé et développé du matériel thématique provenant des deux premières pièces : Le deuxième thème (B) du “III. Finale” est par exemple le développement d’un motif de transition présent dans “II. La Mort de Dracula”.

Écouter le motif B tel que dans “II. La Mort de Dracula” :

Écouter le thème B qui en est tiré dans “III. Finale” :

Mais je vais aller plus loin, dans une sorte de longue coda :

  • Tout d’abord, je réintroduis en contrepoint l’un des thèmes de “II. La Mort de Dracula” (motif C).
  • Puis je développe en tant qu’élément mélodique le thème B du “III. Finale”, sur cette trame rythmique formée par le motif C.
  • Enfin, je superpose le chœur, les cors et trompettes, avec le thème A du “III. Finale”, avant d’aborder une ultime modulation et conclure.

Écouter le motif C tel que dans “II. La Mort de Dracula” :

Écouter le thème A du “III. Finale” :

Écouter la fin du “III. Finale” :

► Afficher la partition annotée de la fin du “III. Finale”. ◄

Un Exemple dans “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur”

Dans ma partition de ciné-concert pour le film muet “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur”, je présente les thèmes très progressivement durant la première demi-heure.

Pour une étude détaillée des thèmes musicaux dans “Nosferatu”, vous pouvez vous reporter au “Guide des Thèmes & Motifs Musicaux de Nosferatu” ainsi qu’au “Guide de la Structure Musicale du Ciné-Concert Nosferatu”, que je propose sur le site du ciné-concert.

Notre propos ici sera bien moins ambitieux, et je considèrerai que vous avez identifié les différents thèmes et motifs (à l’aide des deux Guides présentés ci-dessus), et je me propose de vous parler de l’enchevêtrement des thèmes et motifs musicaux dans la séquence finale. Durant tout le film j’ai préparé, présenté et développé les thèmes et motifs dans le but de cette ultime scène, que j’ai écrit assez tôt dans le processus de composition, pour avoir une direction.

Commençons par écouter la musique : “Le Chant du Coq — Bye-bye Comte Orlok !” :

► Regardons maintenant la partition annotée du “Chant du Coq — Bye-bye Comte Orlok !”. ◄

L’extrait commence par le thème de Nosferatu, joué de façon implorante, avec tension, alors que le soleil levant le surprend au chevet d’Ellen. Souffrant, il se désintègre en poussière fumante.

Son thème, mêlé au motif de Knock symbolisant le lien télépathique les unissant, lien tirant à sa fin, est joué avec intensité, le thème n’est plus qu’une amorce, qu’une accroche, trois notes seulement. Le motif de Knock, obsessionnel, toujours intimement lié à celui du Comte Orlok puisque Knock ne possède pas de personnalité propre, dirigé qu’il est par Nosferatu, est donc pour sa part présenté intégralement (trois notes).

Le motif de l’Engrenage Maléfique apparaît pour la dernière fois, très lent, amoindri, il a perdu toute sa belle précision mécanique, le piège s’est retourné contre le Comte Orlok, il a succombé à l’amour d’Ellen, se laissant surprendre par les rayons solaires du petit matin. Sur le plan du film correspondant, Knock dans sa cellule s’affaisse (renforcé par un figuralisme musical en triolets descendants), vidé de toute influence directe de Nosferatu, et donc presque aussi mort que le vampire.

Laborieux et harassé, le motif d’Ellen, mourante, est joué une dernière fois, avec des accords tendus et des jeux de décalages rythmiques entre 3/4 et 4/4. Alors qu’elle rend son dernier souffle, le motif de Hutter, triste, dépourvu de son bel optimisme et de sa niaiserie du début du film, sert de transition vers le thème de la séparation déchirante, cette fois l’ultime séparation.

Enfin, dans le plan final, étant donné l’ambiguïté du choix de Murnau de montrer le château du Comte Orlok malgré la disparition de celui-ci, un accord inquiétant, surmonté froidement de l’accroche du thème de Nosferatu, sert de conclusion à ma partition. Il semblerait qu’à la base ce plan était censé symboliser le triomphe du bien, le château détruit par les rayons du soleil, mais je n’ai guère trouvé flagrante cette idée lors de la projection du film, aussi ai-je préféré conserver mon idée : le comte Orlok est-il le vrai perdant dans cette histoire ? Hutter a perdu sa fiancée, Ellen a perdu sa vie, mais Orlok a enfin trouvé la paix ?

Le Mot de la Fin

Il va de soi qu’utiliser systématiquement ce procédé de mélange thématique, que nous pourrions appeler “récapitulation thématique”, en guise de conclusion d’une œuvre musicale, n’est pas à recommander. Néanmoins, utilisé avec subtilité et à bon escient, le résultat peut apporter une cohérence nouvelle à l’ensemble de la pièce voire à l’échelle de l’œuvre entière, l’éclairant d’une vision et d’une compréhension lui conférant une certaine profondeur, tout en étourdissant l’auditeur. Chaque thème, chaque motif avait sa place, planifiée dès le début, alors qu’au premier abord, tous ces éléments disparates n’étaient pas faits pour cohabiter simultanément. L’impression d’unité s’en trouve renforcée. C’est pourquoi, il me semble que ce procédé mérite de trouver sa place dans la malette à outils du compositeur !