“5 Æncres Marines”

pour orchestre symphonique

Phare breton sur les rochers, fanal lumineux surplombant une crique avec des bateaux
“5 Æncres Marines”
pour orchestre symphonique
AS #6x10-13_2021
Informations

Commanditaire : Commande de l’Orchestre National de Bretagne

Année de composition : 2018/2021 (rév. 2022)

Durée : 39’ (53’ avec les “4 Interludes Pittoresques”) — (d’autres assemblages sont possibles)

Nomenclature : 2 Fl. (1° & 2° aussi Pte Fl.) / 2 Htb. / 3 Cl. (3° Cl. B.) / 2 Bsn / 2 Cors / 2 Trp. (1° aussi Pte Trp.) / Timb. / 2-3 Perc. / 9 Vl. I / 7 Vl. II / 5 A. / 4 Vlc. / 3 Ctb.

Difficulté d’écoute : *** Difficile

Mouvements :

  1. Souffle Marin (6’30”)
  2. Marée Montante (7’)
  3. Les Embruns (6’)
  4. Le Phare (10’)
  5. Les Plumes de l’Océan (9’)

Statistiques Musicales

Nombre de notes : 84 977 notes

Nombre de mesures : 965 mesures

Nombre de pages (conducteur) : 155 pages

Nombre de pages cumulées (matériel) : 804 pages

Présentation

Trois ans séparent “Les Plumes de l’Océan” des “5 Æncres Marines”, dont elles sont dorénavant le point culminant. Quelques mois plus tard, j’ai encore augmenté l’œuvre en lui adjoignant quatre interludes facultatifs (qui peuvent alternativement être représentés à part), nommés les “4 Interludes Pittoresques”. Comment expliquer ce si long délai ? Pour comprendre la raison de ce si long cheminement, revenons au début du projet…

Sentier sablonneux serpentant à travers la lande marine, sur la côte de Bretagne
À l’Origine…

À l’origine, l’Orchestre National de Bretagne (ONB) — à l’époque encore appelé Orchestre Symphonique de Bretagne (OSB) —, m’avait commandé une pièce symphonique d’environ dix minutes, dans le cadre d’un projet intitulé « Cartes Postales de Bretagne », instigué par le directeur musical de l’orchestre, Grant Llewellyn. J’étais alors au tout début de ma résidence de compositeur avec eux, et il s’agissait de ma première commande dans ce cadre.

L’idée de ce projet musical « Cartes Postales de Bretagne » était plurielle : d’abord, mettre en valeur le territoire de Bretagne, en particulier les 7 Îles de Bretagne, en commandant sept courtes pièces à sept compositeurs différents. Ensuite, nous étions en 2018 au moment de l’origine de cette commande, et l’orchestre se préparait à fêter ses 30 ans l’année suivante, en 2019.

Dès l’été 2018, je me suis donc attelé à l’écriture de cette pièce, devenue “Les Plumes de l’Océan”, avant de réviser légèrement ma partition un an plus tard.

Malheureusement, des circonstances tragiques n’ont pas permis à l’orchestre de créer l’œuvre comme prévu à l’origine, lors du concert d’ouverture de leur saison 2019-2020, puis la création a encore été plusieurs fois reportée, à cause de la pandémie de covid-19. Quant à l’anniversaire de l’orchestre, ses 30 ans étaient déjà loin !…

Mouettes prenant leur envol, sur une plage en Bretagne
Des Plumes de l’Océan aux 5 Æncres Marines

Dans ces conditions, il me semblait que cela n’avait plus guère de sens d’avoir à mon catalogue une pièce courte « d’occasion », alors que l’occasion en question était passée depuis belle lurette. Occasion révolue d’une part, pièce trop courte pour s’insérer convenablement dans un programme d’autre part : bref ! Il me semblait qu’il manquait quelque chose, et que la pièce appelait à devenir une œuvre beaucoup plus substantielle.

Par ailleurs, il se trouve que pendant ce laps de temps, j’avais eu l’occasion de résider longuement dans des villes côtières, aussi bien dans le Nord de la Bretagne, qu’ailleurs en France. J’avais même pour voisins, dans l’une de ces résidences, des goélands en famille, avec nichée et compagnie ! Un peu par la force des choses, j’ai vite appris à reconnaître et à me familiariser avec les fort nombreuses vocalisations — très variées par ailleurs ! —, de ces animaux et de leurs petits, qui plus d’une fois ont interrompu mon sommeil de leurs cris intempestifs et insistants…

Musicalement, j’avais aussi des idées depuis plusieurs années, que je souhaitais expérimenter et qui, pour certaines, étaient presque devenues obsessionnelles.

Bateaux de pêcheurs et découpes de rochers devant les deux phares de l’Île Vierge père et fils, sur la côte de Bretagne

Le thème général de l’Océan saupoudrant déjà une partie de ma résidence artistique avec l’ONB (le sextuor “Haubanages”, “Les Plumes de l’Océan”), quoi de mieux que de pousser ce projet symphonique jusqu’au bout, jusque dans ses retranchements ?

Bien sûr, tant d’autres compositeurs avant moi s’étaient déjà penchés sur la Mer et l’Océan, sujet fascinant s’il en est, à la fois tellement connu, presque rabâché, mais toujours aussi mystérieux… Pour n’en citer que quelques-uns, et en restant dans le domaine de l’orchestre symphonique, illustres compositeurs comme artistes moins célèbres :

  • “Les Hébrides ou la Grotte de Fingal” (1831), ouverture de Felix Mendelssohn,
  • “Le Hollandais Volant ou La Vaisseau Fantôme” (1843), opéra de Richard Wagner,
  • “Symphonie n°2 — « Océan »” (1851), symphonie de Anton Rubinstein,
  • “Schéhérazade” (1888), suite symphonique de Nikolaï Rimski-Korsakov,
  • “La Mer” (1889), fantaisie de Alexandre Glazounov,
  • “La Mer” (1892), 4 esquisses symphoniques de Paul Gilson,
  • “La Mer” (1905), 3 esquisses symphoniques de Claude Debussy,
  • “Une Barque sur l’Océan” (version pour orchestre, 1906), de Maurice Ravel,
  • “L’Île des Morts” (1909), poème symphonique de Sergueï Rachmaninov,
  • “Conté par la Mer” (1910), étude symphonique de Maurice Delage,
  • “La Mer” (1911), suite/poème symphonique de Frank Bridge,
  • “Les Océanides” (1914), poème symphonique de Jean Sibelius,
  • “Poème des Rivages” (1921), suite symphonique de Vincent d’Indy,
  • “Diptyque Méditerranéen” (1926), suite/poème symphonique de Vincent d’Indy,
  • “Journal de Bord” (1927), suite symphonique de Jean Cras,
  • “4 Interludes Marins” (1944), suite symphonique de Benjamin Britten…

… Et la liste pourrait se prolonger encore et encore… Malgré tout, malgré mes prédécesseurs (et quels prédécesseurs !), j’avais ma propre conception musicale sur le sujet, et j’avais envie de dépoussiérer ce thème, si cher aux Romantiques, en abordant musicalement certains phénomènes et certains éléments du même champ lexical, mais moins exploités (le souffle marin, la marée montante, les embruns, le fanal, les oiseaux de mer).

Perspective de rochers déchiquetés d’origine volcanique, sur le littoral breton

C’est ainsi qu’en fin de printemps et début d’été 2021, j’ai augmenté ma partition de rien moins que quatre nouveaux mouvements ! Initialement, je n’avais prévu qu’un seul mouvement additionnel. Pourtant, rapidement, la matière musicale brute m’est apparue trop dense et trop riche pour se satisfaire d’un contenant par trop restreint. C’est ainsi que j’ai dû me résoudre, à plusieurs reprises, à scinder ce mouvement en deux, puis en trois, puis en quatre, me conformant en cela à ce que la matière musicale m’imposait…

Quant au mouvement séminal, celui par lequel tout a commencé, “Les Plumes de l’Océan” trouve maintenant sa place en tant que final de l’œuvre, une sorte d’aboutissement de ce voyage progressif au travers de plusieurs paysages, plusieurs phénomènes marins.

Les “5 Æncres Marines” est donc une succession de cinq mouvements, auxquels nous allons nous intéresser individuellement, pour mieux comprendre le cheminement que je vous propose dans cette œuvre. Des 6’30” initiales, nous voici passés à plus de 39’ !

Mais commençons par nous attarder quelques instants sur le titre du cycle : Pourquoi “5 Æncres Marines”, avec ce « Æ » intrigant ?

Colonie de mouettes sur les rochers, en Bretagne, devant les flots de l’Océan
Pourquoi ce Titre Énigmatique ?

Le titre général de l’œuvre s’est imposé presque de lui-même, alors que je travaillais sur le quatrième mouvement, “Le Phare”. L’image d’un phare, avec sa lanterne émettant des éclats lumineux et réguliers dans la nuit, jaillissait dans mon imagination, et je n’arrivais pas à me défaire de cette vision. La couleur du ciel était d’un magnifique bleu sombre intense, un bleu d’encre de stylo-plume, particulièrement profond et lumineux. Et je visualisais cette scène depuis le large, sur les flots. Il y avait donc d’une part ce premier mot, « Encre ».

D’autre part, puisque j’imaginais l’œuvre comme un voyage de terre à mer, comme une transition heurtée, saccadée, non comme une continuité de progression douce, mais bien plutôt comme des escales dans cinq lieux marins différents, à cinq moments différents, l’« Ancre » d’un bateau m’apparaissait comme un concept intéressant à explorer, puisque c’est un peu comme si nous changions simplement de mouillage d’un mouvement à l’autre.

J’ai donc regroupé ces deux mots, « Encre » et « Ancre », consolidant le « A » et le « E » en les associant sous forme de « Æ », pour, telle une bascule, mettre en avant la polysémie du mot telle que je la concevais dans le titre.

Les titres individuels des mouvements étant quant à eux beaucoup plus explicites, il est temps pour nous maintenant de nous intéresser d’un peu plus près à chacun d’entre eux, après un court détour vers les préoccupations qui ont parsemé tout mon travail de création dans cette œuvre.

Côte bretonne déchiquetée, vagues se fracassant sur les rochers
Mes Préoccupations Musicales dans 5 Æncres Marines

Alors que je venais de passer plus d’un an à explorer l’orchestre à travers la lunette des styles musicaux et des enjeux dramatiques d’un conte musical dans mon œuvre précédente, “La Femme à l’Orchestre”, j’avais envie de revenir à une écriture un peu plus représentative de mon langage actuel, et de m’éloigner de la satisfaction d’écoute immédiate que procure souvent une partition tonale, dont l’auditeur maîtrise généralement les codes, même inconsciemment, au sein d’une culture donnée, à un moment donné, surtout lorsque la partition vient en soutien d’une histoire (que celle-ci soit racontée sous forme de film ou de concert théâtral).

J’ai besoin des deux types d’écriture pour m’épanouir pleinement en tant que compositeur. Alterner entre les œuvres tonales (le ciné-concert “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur”, le conte musical “La Femme à l’Orchestre”) et les œuvres au langage plus hermétique (« Leading Astray » — Concerto pour Cristal Baschet & Orchestre, “Haubanages”, ou la présente œuvre, “5 Æncres Marines”) me convient finalement assez bien.

Rail de mer pour mettre les bateaux à l’eau, sur la côte de Bretagne, à marée basse

Pour autant, les “5 Æncres Marines” reste une œuvre narrative, quoiqu’un peu plus abstraite qu’un ciné-concert ou qu’un conte musical.

L’abstraction repose ici sur l’absence de personnages, d’une part (le protagoniste, simple observateur, est en fait l’auditeur ; le vrai personnage principal est le paysage, dans sa dynamique), et l’absence d’histoire à proprement parler d’autre part. Dans cette partition, il n’y a pas de « programme », simplement des décors, qui plus est des décors en mouvement.

Car je m’intéresse ici aux cycles. Chaque environnement est animé, « traversé » par des cycles, aussi bien au niveau micro- que macro-temporel.

J’ai fait un travail sur le haut/bas (dans l’espace/dans les fréquences), avant/arrière (dans l’espace), gauche/droite (dans l’espace), passé/présent/futur (dans le temps — puisque c’est cyclique, cela veut dire que les phénomènes auxquels nous nous intéressons ont déjà existé, et existeront encore : il y a répétition), ce qui nous donne six dimensions spatiales, deux dimensions dans les bandes de fréquences, et trois dimensions temporelles : néanmoins, en musique nous perdons deux de ces éléments. Nous n’avons la notion de passé que rétrospectivement, et de futur que prospectivement : pas de retour dans le passé possible (on ne peut effacer ce que l’on vient de faire entendre que par ajout, pour référencer Roland Barthes). J’ai donc dû m’accommoder de quelques substitutions : le haut/bas spatial est devenu haut/bas dans les fréquences, dans les nuances, et/ou dans les masses sonores ; le passé/présent/futur, pour mettre en exergue le phénomène de cycles, apparaît souvent par la répétition à différents niveaux, mais aussi par la conception même de chacun des mouvements : chaque mouvement pourrait être joué en boucle ; chaque mouvement commence comme il se termine, dans une sorte d’épanadiplose musicale. Au niveau spatial, hormis le haut/bas, j’ai beaucoup travaillé sur la spatialisation directement au sein de l’orchestre, ce qui fait d’ailleurs apparaître sur la partition les logiques spatiales de manière presque graphiques, avec les décrochages et les accumulations des différentes parties individuelles.

Des profondeurs de rochers vers le ciel, sur la côte de Bretagne

“5 Æncres Marines” est aussi un travail sur les masses sonores, en particulier l’individualité que l’on trouve ou que l’on peut faire naître au sein d’une même constellation sonore, mais aussi l’unité que l’on trouve dans un agrégat de parties légèrement différenciées. Presque un travail sur les cohortes d’oiseaux, sur la dynamique des fluides ou encore sur les dynamiques au sein des colonies de fourmis ou d’abeilles.

Cette œuvre est donc aussi un travail sur la synthèse sonore. Il n’y a ni mélodie, ni vraiment d’harmonie — rien de clairement identifiable comme tel. L’harmonie fait ici partie intégrante de l’orchestration, elle est inhérente au timbre et aux masses sonores. J’ai en effet cherché à transcender la dichotomie tonal/atonal, consonant/dissonant, harmonie/mélodie/accompagnement, en opérant une fusion de tous les éléments, qui naissent alors de considérations plus organiques, tout en s’agglomérant pour produire un tableau sonore général. Pour le formuler de manière peut-être plus claire : en écoutant les sons que nous offre un paysage (bruit du vent, bruit des vagues, cornes de brumes, vocalisations d’oiseaux, etc.), on constate que chaque couche de son individuelle répond à sa propre logique, et que, dans le tableau final et synthétique que nous pouvons percevoir, chaque couche s’associe à toutes les autres, même si celles-ci n’ont rien à voir entre-elles ! Peuvent donc coexister de la dissonance, de la consonance, des fréquences de forte intensité, de faible intensité, de longue durée, de courte durée, etc. Ces concepts ne sont plus d’aucune utilité pour déchiffrer un tel panorama, puisqu’elles n’offrent plus aucune pertinence. C’est avec ce point de départ presque amoral que j’ai élaboré les cinq mouvements qui composent l’œuvre, en cherchant à m’affranchir de la nécessité habituelle de produire quelque chose dans une dichotomie beau/laid, agréable/désagréable, etc.

Enfin, le but ultime de ce voyage musical est pour moi l’aspect viscéral que j’espère cette expérience revêtira pour l’auditeur (du moins en concert). Je parlais plus haut de cohorte, de masses sonores, d’unité et d’individualité : c’est aussi pour moi un moyen de mettre en place une surcharge cognitive de l’auditeur, en le saturant d’éléments en tous sens, afin de le détacher des détails pour ne plus lui laisser percevoir que le tout (dans certains passages de l’œuvre, il est impossible de distinguer individuellement toutes les composantes, toutes les strates musicales). En désorientant l’auditeur de ses repères habituels du cadre d’un concert, j’espère que celui-ci se laissera aller à écouter aussi l’orchestre plus seulement avec ses oreilles uniquement, mais aussi corporellement, par le biais de ses sensations (rien de mieux que l’orchestre pour sentir le son avec le corps).

Hormis la technique musicale toute contemporaine que j’ai ici employée, cette œuvre évoque fortement le courant impressionniste. On pourrait donc à peu de choses près la qualifier d’œuvre « néo-impressionniste ».

Dans cette recherche et le travail de la matière sonore, le logiciel de notation musicale Dorico s’est avéré un allié précieux, qui m’a permis de donner librement cours à mon imagination, sans craindre de me heurter à ce que le logiciel avait décidé d’établir comme limites du réalisable.

Petit paradis de fleurs en bordure d’un sentier le long de la mer, sur le littoral breton

Je suis conscient qu’une partie du public sera peut-être déstabilisée par une œuvre qui ne contient ni thème, ni réel motif, ni mélodie, ni harmonie à proprement parler, mais qui se concentre pleinement sur la question du temps, des cycles, du ressenti corporel du son, des textures, du timbre, et de la synthèse sonore organique. Pour autant, je ne pense pas que le public soit intrinsèquement et irrémédiablement rétif à la musique contemporaine abstraite.

Au contraire, je crois fermement qu’il est possible d’intéresser le public qui fréquente les concerts de musique symphonique à des œuvres exigeantes, et que celles-ci peuvent côtoyer des partitions plus classiques, dès lors que c’est présenté d’une manière un tant soit peu attrayante. Cette présentation attrayante peut se faire grâce à des éléments familiers du public — ici au travers du thème de l’Océan —, en leur donnant des repères connus. Dans la présente partition, les titres et les sous-titres de l’œuvre orientent déjà considérablement l’écoute, en « amorçant » l’imagination de l’auditeur dans une direction choisie, et à laquelle presque chacun de nous peut se référer, car l’Océan fait partie du socle commun partagé par notre culture occidentale du XXIè siècle.

Ceci étant dit, mon but n’est pas de réussir à faire aimer cette musique au public dans son entier. En revanche, si quelques personnes, parmi les auditeurs, sortent du concert en se disant, avec curiosité et une pointe d’étonnement : « Je ne peux pas exactement dire que cela m’a plu, néanmoins, je ne me suis pas ennuyé, et je me suis même surpris à reconnaître l’Océan à certains détours de la partition ! Ce n’est pas vraiment le type de musique que j’écouterais au quotidien, mais j’ai trouvé que c’était malgré tout une écoute intéressante », je m’estimerai satisfait.

I. Souffle Marin
AS #11-2021

Phénomènes évoqués musicalement : le vent marin, une crique ensoleillée, des bateaux sur le sable, et haubans qui claquent (Noté en en-tête du mouvement : « Port d’Échouage, Basse Mer : Vent & Haubans qui Claquent dans la Crique… »).

Crique en Bretagne, par une journée ensoleillée ; port d’échouage avec des bateaux échoués sur le sable

Première étape de notre voyage, nous sommes quelque part en Bretagne, dans un port d’échouage, une crique jonchée de bateaux échoués sur le sable. Le soleil et le vent se conjuguent pour animer ce tableau autrement paisible : seul le claquement des gréements donne vie à tous ces bateaux immobiles, passant de l’un à l’autre au gré du vent.

Ce premier mouvement du cycle a vu le jour de ma curiosité et de mon envie, suite à la composition de mon Sextuor “Haubanages”, de voir ce que donneraient certains des concepts explorés dans cette précédente œuvre, mais cette fois-ci appliqués à grande échelle.

J’ai construit le mouvement en forme d’arche, et j’ai voulu mettre en relief à la fois les transitions progressives, mais aussi parfois les ruptures dans les dynamiques que l’on peut observer et écouter dans un port au niveau du vent (le claquement des haubans se déplace de manière parfois graduelle, parfois brutale, et l’intensité croît/décroît de manière plus ou moins amenée, plus ou moins abrupte).

II. Marée Montante
AS #13-2021

Phénomènes évoqués musicalement : le ressac de l’Océan, le va-et-vient de l’eau qui monte, les goélands/mouettes avec leurs petits (Noté en en-tête du mouvement : « Va-et-vient de l’Eau qui Monte sur le Sable, Mouettes & Goélands »).

Plage bretonne avec des amas d’algues sur le sable, des oiseaux de mer (mouettes) et les vagues se brisant sur les rochers

Deuxième étape de notre voyage, nous sommes maintenant sur une plage de sable. L’Océan est loin, il s’est retiré à marée basse. Mais voici la marée montante… Impitoyable, jusqu’où va-t-elle monter ?

Le deuxième mouvement est celui que j’ai terminé en dernier, celui qui m’a donné le plus de mal. En effet, il m’a fallu travailler et retravailler la mise en scène des éléments musicaux, avant que je sois enfin satisfait de la manière dont j’avais réalisé musicalement mon concept fondateur.

À l’époque où j’ai écrit cette œuvre, je résidais dans une ville côtière. Mes voisins les goélands se plaisaient beaucoup dans la cour de mon lieu de vie, à tel point qu’ils avaient probablement élu domicile sur les toits. Nous sommes en mai-juin à cette époque, juste après l’éclosion… Et voici toute la nichée de goélands (trois grisards) qui piaille, à tue-tête et avec insistance, inlassablement, toutes les deux heures jour et nuit, pour réclamer à leurs géniteurs de la nourriture !… Infernal ! Pourtant, j’en suis arrivé à connaître par cœur leurs manèges et leurs cris. À défaut d’avoir le silence, autant m’en servir alors comme documentation privilégiée. Je les ai donc intégrés dans mon œuvre, ce cycle ayant pour thème, à point nommé, l’Océan ! J’en ai donc écrit quelques simulacres dans ma partition, en particulier dans “Marée Montante”.

Pour la petite histoire, il m’arrivait, pendant le processus d’écriture, d’écouter une simulation de ma musique sous forme de maquette, avec des sons virtuels, pour contrôler le déroulement temporel de ma pièce. Souvent, les goélands piaillaient au-dehors, au-delà de ma fenêtre. Et je n’arrivais plus alors à distinguer les vrais des faux piaillements de ces petits grisards ! Les vrais goélands et la simulation délivrée par mes écouteurs se confondaient parfaitement… Plusieurs visiteurs ayant eu l’heur de me rendre visite à cette période bruyante attestent d’ailleurs de cette vraisemblance.

Pourtant, je n’ai jamais perdu de vue qu’il s’agissait d’un mouvement centré avant tout sur le mouvement de la mer pendant la marée montante. Il m’a fallu planifier une progression assez construite, pour réussir à passer du « presque rien » du début à un paroxysme quasi insoutenable à la fin. Je voulais mettre ainsi en exergue la puissance des mouvements de l’Océan. “Marée Montante” est d’ailleurs le seul mouvement du cycle que j’ai construit uniquement sur un crescendo.

III. Les Embruns
AS #12-2021

Phénomènes évoqués musicalement : la crête des vagues, l’air marin, le sel et l’iode, et la lumière du soleil qui traverse les micro-gouttelettes des embruns (Noté en en-tête du mouvement : « Crête des Vagues, Air Marin, Sel & Iode, Soleil dans les Embruns »).

Côte de Bretagne, crête des vagues se brisant sur les rochers, embruns en suspension dans l’air marin…

Troisième étape de notre voyage, l’Océan a maintenant recouvert la plage. Après nous être confronté aux forces colossales de la marée montante, voici un temps de repos et d’absorption dans la jouissance contemplative. Alors que la mer est étale, du côté des rochers nous pouvons maintenant admirer l’écume et le ressac. Nous pouvons nous repaître de la lumière du soleil qui traverse les embruns, leur donnant tour à tour une couleur blanche éclatante ou des reflets iridescents.

Ce mouvement est le mouvement le plus contemplatif du cycle, le plus stationnaire. Progression il y a bel et bien, mais aucun changement majeur ne vient interrompre le mouvement cyclique ininterrompu, hormis la courte incursion centrale. Le jeu d’imitation des mouvements de l’Océan est ici particulièrement évident, et ne mérite guère d’explications.

IV. Le Phare
AS #10-2021

Phénomènes évoqués musicalement : la giration de la lanterne du phare (avec effet stéréo), diverses cornes de brume, et goélands (Noté en en-tête du mouvement : « Près de la Côte, Vers le Large : Fanal, Corne de Brume & Goélands, Ciel “Bleu de Minuit” »).

Phare breton sur les rochers, fanal lumineux surplombant une crique avec des bateaux

Quatrième étape de notre voyage, la nuit vient maintenant de tomber. Et alors que le ciel se pare d’une belle couleur d’encre, et que les flots prennent une profondeur insondable, le phare commence à pourfendre les ténèbres de sa lanterne éclatante et régulière. Le bateau sur lequel nous nous trouvons quitte la côte et se dirige vers le large. Les cornes de brume transpercent un moment le silence nocturne, à mesure que nous croisons sur notre route quelques bateaux. Puis c’est le large, et le silence.

Ce mouvement, celui par lequel l’extension des “Plumes de l’Océan” a commencé, est sans doute le plus linéaire, le moins fragmenté, le moins heurté du cycle. J’ai cherché à rendre la progression la plus continue possible. C’est le seul mouvement dans lequel nous sommes en mouvement, en tant qu’observateur. Seul fil conducteur : la lueur du fanal, puis la giration de sa lanterne, avant de n’être plus que cette lointaine lueur, maintenant presque désincarnée.

V. Les Plumes de l’Océan
AS #6-2018

Phénomènes évoqués musicalement : les vents marins, les vagues, et 40 000 oiseaux de mer qui tournoient dans le ciel au-dessus des flots et des rochers (Noté en en-tête du mouvement : « Pleine Mer, au Large : Vent, Vagues & 40 000 Oiseaux Marins qui Tournoient au-dessus de l’Océan & des Rochers »).

Côte de Bretagne : soleil, mer, rochers et mouette prenant son envol

Cinquième et dernière étape du voyage que je vous propose, nous arrivons au terme de ce cycle consacré tout entier à l’Océan, ou plutôt, à quelques-uns de ses aspects. Le jour s’est maintenant levé, nous sommes au large. Quelques rochers crèvent la surface de la mer. Et voici 20 000 couples d’oiseaux qui paradent dans le ciel et s’épanouissent au-dessus des rochers et des flots.

J’ai déjà longuement expliqué le processus créatif qui a sous-tendu l’écriture des “Plumes de l’Océan”. Je vous renvoie donc à la page spécifiquement consacrée à cette œuvre, pour accéder à tous les détails. De par la nature singulière de sa genèse, de pièce créée à l’origine comme une simple et courte pièce d’orchestre à vocation de célébration, j’ai décidé que ce mouvement conserverait dans mon catalogue une référence séparée.

Alexis Savelief
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