Donner du relief à une orchestration, où il est question des plans sonores

Blog “Dans l’Atelier du Compositeur” & “Sculpteur de Notes”

Donner du relief à une orchestration, où il est question des plans sonores

, par , dans Dans l’atelier du compositeur, Instrumentation & Orchestration, Orchestration —  4 min.

L’une des compétences importantes de tout orchestrateur, est de savoir donner du relief à son orchestration, sans pour autant se départir de la clarté globale de l’écoute.

L’autre jour, nous avons analysé de près comment Mahler s’y prenait dans un court extrait du premier des Kindertotenlieder. Aujourd’hui, je vais tenter d’expliquer certains concepts, au travers de l’analyse d’un extrait de ma Suite “Nosferatu”.

L’Analyse

Regardons d’abord l’extrait dans la version originale pour 8 violoncelles, 3 claviers, et 2 percussionnistes :

► Thème de Nosferatu (version originale) ◄

Écoutons l’enregistrement (l’extrait étudié commence à 1’15”) :

Maintenant comparons avec la version adaptée et orchestrée (l’extrait étudié commence à 0’20”) :

► “L’Ombre de Nosferatu Pt. 2” ◄

Vous pouvez écouter ci-dessous cet extrait de la Suite “Nosferatu” :

“L’Ombre de Nosferatu Pt. 2”

Ces extraits du thème sont divisés en deux sections :

Section I

La première, assez simple et régulière (des croches), comprend trois ruptures rythmiques par l’intervention de deux triolets et d’un quatre-pour-trois. Dans la version originale, je me contente de doubler le vibraphone avec le clavecin, uniquement sur ces trois “cassures”.

Dans la version orchestrée, ce passage, littéral, est cité juste avant l’extrait présenté, et je le prolonge en jouant davantage avec ce jeu rythmique, afin d’introduire le tutti de la deuxième section.

En effet, en allégeant l’harmonie et la restreignant dans l’aigu, confiée à quatre bois (2 flûtes et 2 clarinettes), j’introduis l’élément unificateur des ces quelques mesures. En dessous, je peux donc commencer à jouer avec les oppositions de rythme.

Tout d’abord, j’ajoute des attaques à la ligne de flûte 1, en la doublant une octave plus bas avec 3 trois cors à l’unisson, uniquement les croches d’attaque, et avec des chevrons sur chaque note, dans une nuance f, afin de ressortir beaucoup par rapport aux bois.

La variation confiée au vibraphone dans la version originale est maintenant mise sur deux plans distincts : d’une part les croches, d’autre part les ruptures en triolets et quatre-pour-trois.

Les croches sont confiées aux trois trompettes, divisées : la première ne joue que la première note de chaque subdivision rythmique des croches, avec un chevron. La deuxième joue tout, avec des accents courts. Enfin la troisième joue tout, en articulation triple, afin d’apporter un peu d’agitation avant le tutti suivant. Les deux premières trompettes sont avec sourdine sèche et mf, la troisième trompette joue sans sourdine et f, afin de ressortir davantage.

Par opposition, le synthétiseur II en son de clavecin, doublé par des gettatos de cordes (en entrées décalées, ce qui donne un côté moins net, presque un ricanement), interrompt les trompettes avec les “cassures” rythmiques. Pour dissocier encore plus clairement les deux plans, et faire écho au côté un peu aléatoire des gettatos, chacune de ces interventions est soulignée par un coup de cymbale cloutée p.

L’alternance des deux est d’autant plus claire que les timbres des cuivres et des cordes sont éloignés. On peut cependant noter que l’idée de “ricanements” n’est pas présente qu’aux cordes : la troisième trompette en articulation triple est un début de cette idée, ce qui permet par ailleurs de percevoir une continuité dans tout ce passage.

D’autre part, le jeu de timbres, la harpe et les violoncelles en pizz. (violons I aussi au début) doublent partiellement les trompettes et même le quatre-pour-trois, afin d’apporter un peu de brillance et d’attaque à l’orchestration de ces quelques mesures, et mettre à mal son côté presque “systématique”.

Enfin, j’ai ajouté la mélodie du thème de Nosferatu dans le grave, aux trombones 1 et 2, qui contribue, avec la ligne de bois legato, à unifier l’ensemble.

Section II

La deuxième partie est en fait presque plus simple :

Les violons I et altos jouent l’harmonie de façon linéaire, avec des soufflets très échelonnés. Les bois et cuivres quant à eux jouent cette même harmonie, mais de façon beaucoup plus fractionnée : les entrées et sorties des instruments, soulignées par des nuances, apportent de l’animation. De même, à la mesure 72, les flûtes 2 et 3 et clarinettes “ricanent” sur les tenues des flûte 1 (qui cela va de soi ne s’entendra pas !), bassons, trombones et tuba.

Le fractionnement est encore souligné par les interventions des timbales avec baguettes dures, jouées très rude et avec accents.

Parmi tout cette masse, les violons II jouent ff des croches doublées et nerveuses.

De leur côté, les violoncelles en pizz. doublent la harpe, répondant au clavecin et à des cuivres avec sourdine à partir de la mesure 73.

Comparativement à la version originale, la version orchestrée de cette deuxième section est donc beaucoup plus animée.

Pour terminer

Évidemment je n’ai fait ici que survoler les processus qui ont été les miens lors de l’adaptation et orchestration de cette Suite “Nosferatu”, mais j’espère que cette analyse pourra vous donner quelques pistes pour donner du relief entre les plans sonores, avec des oppositions, des contrastes, en jouant d’une part sur les attaques, d’autre part sur les nuances, et enfin en se servant des timbres pour clarifier les diverses strates musicales.