La notation des nuances est toujours sujette à des malentendus !
D’abord il y a ceux qui n’en mettent aucune, nous n’en parlerons pas, c’est tout simplement intolérable pour les instrumentistes.
Il y a ceux qui en mettent quelques-unes, de façon très imprécise, bien souvent les crescendos/diminuendos et les nuances ponctuelles elles-mêmes sont placées sur la partition avec une précision digne du flou artistique le plus flou qui soit (à défaut d’être artistique), on ne sait vraiment ni où ça commence, ni où ça finit, s’il s’agit de négligence, ou de mauvaise copie, mais c’est déjà mieux.
Et il y a ceux qui précisent tout : les nuances de départ et d’arrivée de chaque soufflet, au minimum une indication telle que pochissimo/poco/molto. Cela peut vite devenir difficile et fatiguant pour l’interprète de faire face à cette surcharge cognitive.
Admettons que vous soyez dans le cas n°3 : comment échelonner les nuances ? Il faudrait, pour bien faire, fixer des seuils de décibels, et pourtant, en pratique cette approche est exclue !
Les nuances, comprenons-le bien, sont relatives à notre perception, à l’acoustique d’une salle, c’est aussi une question de contraste : un passage seulement f semblera beaucoup plus fort après un pp qu’après un mf.
Ensuite, chaque instrument (et pour chaque instrument, chaque instrumentiste individuel) a ses propres capacités de nuances, donc ses limites, notamment en fonction des registres. La clarinette est réputée pour ses très larges possibilités à ce niveau, alors qu’une trompette sera moins facile à jouer pp.
Une flûte ou des flûtes dans le grave ne porteront jamais beaucoup, même dans le ffff alors que dans l’aigu/suraigu, elles pourront dominer l’orchestre, et elles auront même du mal à jouer très p. (J’ai perdu quelques décibels d’acuité auditive en jouant en duo violoncelle-flûte, en trio flûte-violoncelle-piano, et en quatuor flûte-violon-alto-violoncelle, donc vous pouvez me croire sur parole : la flûte dans le suraigu, c’est un supplice en termes d’intensité auditive !)
Devant tant de disparités selon les instruments de l’orchestre, comment écrire correctement les nuances ?
Aucune solution définitive, seulement des hypothèses, que chaque compositeur/orchestrateur devra proposer.
Pour ma part, je fais partie de la troisième catégorie, et je note les nuances contextuellement : la plupart du temps, mes nuances sont relatives par rapport au reste de l’orchestre.
Dans les passages plus risqués, par exemple des flûtes dans le grave ou de la harpe sur un tutti, j’utilise des nuances compensatoires, en incluant dans ma pensée la déficience de l’instrument à cet endroit. Ainsi, je pourrai noter fff la harpe et seulement f ou ff le reste de l’orchestre, en étant conscient que je n’obtiendrai jamais un véritable fff, dans cette situation, à cet instrument, dans ce registre.
Un autre point à prendre en compte est le nombre de doublures. Une ligne trop doublée devrait éviter des nuances trop élevées, les doublures rendant déjà le son pâteux par substance. De plus, un passage comprenant plusieurs lignes mélodiques entremêlées, devra prendre garde à ne pas opposer une ligne avec quinze doublures et unissons à un malheureux instrument solo, surtout si les nuances n’ont pas été pensées en conséquence (et encore). De toute façon, le rapport entre le nombre d’instrumentistes par pupitre, et le volume sonore produit dans une même nuance, n’est pas une fonction linéaire ! (Mais la perception du son et l’échelle des intensités est loin de l’être également.)
Dans le cas de passages solistes, les nuances sont évidemment indiquées de façon globale, ce qui compte étant la perception finale de l’ensemble, avec un instrument en avant-plan clairement détachable. C’est-à-dire que bien souvent, en pratique, l’accompagnement doit jouer un peu au-dessous des nuances indiquées, et le soliste un peu au-dessus, chacun ajustant à l’oreille sa nuance pour s’équilibrer et s’harmoniser au mieux avec l’autre. L’indication Solo et, pourquoi pas, en-dehors, peuvent aider l’instrumentiste à prendre conscience de son importance dans ces passages.
En orchestre, il est souvent demandé aux musiciens, en particulier dans les pupitres de cordes, de jouer moins timbré, en particulier dans les concertos et les opéras, pour laisser passer les solistes ou les chanteurs. Cela explique qu’on dise souvent d’untel qu’il a un son de musicien d’orchestre, c’est-à-dire moins timbré, par opposition à un soliste ou un chambriste, qui timbre même les pp pour porter le son. Les musiciens d’orchestre peuvent aussi jouer sur des p timbrés ou détimbrés selon les situations, et des f timbrés ou détimbrés selon les situations, pour ajouter du relief, des tensions, de la respiration à la musique.
Bref ! Cette histoire de nuances n’est pas simple, et c’est loin d’être une affaire résolue. Mais au moins j’aurai soulevé la question : Quelle notation convenable pour les nuances ?