Réflexion : De la manière d’enseigner l’orchestration — deux axes

Blog “Dans l’Atelier du Compositeur” & “Sculpteur de Notes”

Réflexion : De la manière d’enseigner l’orchestration — deux axes

Cela fait longtemps que je n’ai pas publié un vrai article, alors voici un petit sujet polémique…

Dans les classes d’orchestration et de composition, on peut observer un phénomène semble-t-il fort répandu : on commence par faire orchestrer/composer aux élèves des pièces pour un petit effectif, souvent seulement quelques musiciens. Progressivement, au fil des devoirs, l’effectif devient plus fourni.

Cette façon de procéder m’a toujours semblé logique quelque part, et pourtant je ne suis pas certain que je n’essaierais pas l’inverse de temps à autres s’il m’en était donné l’occasion.

I. De petits ensembles à de grands effectifs

Voyons d’abord les raisons qui peuvent assurer l’idée qu’il est préférable de commencer par de petits ensembles.

Écartons déjà les considérations d’ordre financier : plaçons-nous dans un monde parfait, dans lequel disposer d’un orchestre de bon niveau pour rendre concrets les devoirs d’élèves ne relèverait pas de l’utopie.

On peut supposer que les élèves arrivant en classe d’orchestration ou de composition n’ont aucune connaissance des instruments à part le leur. Si cette idée semble défendable, en pratique on demande fréquemment un dossier pour admettre les élèves dans ces classes, avec œuvres précédentes, etc., ce qui se vérifie aussi dans la moyenne d’âge, beaucoup plus élevée que dans les classes d’instruments. Ce qui implique, pour être cohérent, de disposer d’un niveau minimum en formation musicale, donc avoir des notions au moins rudimentaires d’analyse/harmonie/orchestration.

Admettons cependant que les élèves ignorent pratiquement tout des instruments de l’orchestre (en particulier pour les pianistes). Dans ce cas, les élèves apprennent progressivement d’un côté l’instrumentation (les noms des instruments, les transpositions qui s’appliquent, les conventions de notation d’un conducteur, les meilleurs registres, les limitations, etc.), de l’autre étudient des styles d’abord simples puis de plus en plus complexes : Mozart, puis Beethoven, puis Bruckner, puis Mahler, Ravel, Strawinsky, etc.

L’avantage de cette méthode est de se conformer à des lieux communs tels « Apprendre à marcher avant de courir. », ce qui est d’ailleurs parfaitement sensé. C’est une façon d’apprendre tout à fait académique, règlementaire et orientée théorie, les élèves apprennent et étudient d’abord, et ils feront leur sauce plus tard. Cela me semble adapté pour les élèves souhaitant faire de l’orchestration/composition sans forcément savoir précisément où ils vont, sans ressentir l’urgence absolue d’écrire ce qu’ils portent en eux.

II. Grand orchestre d’abord, petits effectifs ensuite

Mais n’y aurait-il pas de place pour une autre façon d’apprendre ? Une méthode que l’on pourrait humoristiquement appeler « pour les impatients » !

Ici, sans doute personne n’ignore que je n’ai pas suivi de classe d’orchestration officielle, et que j’ai surtout appris « sur le tas », avec le lot d’erreurs et maladresses que cela implique. Par extension, tous les avis formulés dans cet article n’impliquent que moi.

Écrire de la musique, pour certaines personnes, est indissociable de la vie elle-même, comme peut l’être le jeu d’un instrument, la peinture/arts plastiques, la poésie pour d’autres. C’est une pulsion incontrôlable et vitale.

Si l’on entre dans cette catégorie, il me semble qu’il peut être utile d’adopter la démarche inverse.

Je m’explique. Si certains, à l’instar de Maurice Ravel, considèrent l’orchestration comme un acte purement technique, il n’en est pas moins vrai que l’orchestration, après (ou pendant) la conception de la musique proprement dite, marque une œuvre de son sceau personnel (ou pas).

Commencer directement par écrire pour grand orchestre, si cette façon de procéder peut sembler contre-intuitive de prime abord, demande plus d’investissement personnel à l’élève, plus de travail, donc une motivation inébranlable (la charge de travail pour écrire toutes les notes d’une pièce pour grand orchestre représente une charge de travail plus importante qu’écrire pour cinq instruments, indépendamment de la conceptualisation proprement dite d’une orchestration).

L’orchestration/écriture d’une pièce est dans tous les cas rarement dissociée de recherches plus ou moins poussées, ne serait-ce que parce que l’absence de recherches pourrait être le signe d’une stagnation et d’un appui sur des lauriers précédemment acquis. L’élève devrait donc aller consulter des instrumentistes, lire des traités, écouter beaucoup de musique, analyser des partitions d’orchestre, en particulier les premiers temps.

L’orchestration relevant beaucoup du goût de chacun, cette méthode pourrait favoriser l’éclosion d’un style personnel pour les élèves prêts à s’investir pleinement. Je préfère une maladresse personnelle à un cliché (au hasard : flûte et jeu de timbres à toutes les sauces…).

De plus, quelque part il est plus facile d’orchestrer pour grand orchestre, les ressources sont plus abondantes, les contrastes plus nombreux. Avec peu d’instruments, les limites peuvent se faire sentir rapidement, cela implique ruse et concision, notamment pour ne pas épuiser les instrumentistes à vents (jouer fff pendant une demi-heure sans interruption ça fatigue !). Au fil du temps, en connaissant mieux les instruments, écrire pour de petits ensembles devient donc plus facile.

En revanche, le problème des équilibres se pose davantage pour les grands effectifs : les masses qu’il est possible de déployer doivent être équilibrées avec soin. Là encore, si cette partie s’apprend bien sûr théoriquement, rien ne remplace la pratique, car le retour est immédiat, la sanction ne se fait pas attendre.

III. Pas de conclusion

Après il est certain qu’orchestrer l’œuvre d’un autre relève, ou devrait relever, d’un travail de faussaire, jusqu’aux tics, jusqu’aux indications (toujours en français chez Maurice Ravel, en allemand chez Gustav Mahler, des expressions particulières propres à chacun), jusqu’à la notation (chez Maurice Ravel, les glissandos sont notés avec une barre de triple flottante au départ et à l’arrivée, parfois toutes les notes sont écrites, les glissandos en harmoniques sont écrits en théoriquement-toutes-notes, Gustav Mahler insère de nombreuses notes à l’intention du chef d’orchestre, etc.), jusqu’à la façon de colorer, d’employer certains instruments d’une certaine façon.

Certains pensent qu’au contraire, toute personne orchestrant l’œuvre d’un autre devrait y apporter quelque chose. Chacun doit se faire son avis, j’aime bien l’orchestration de Marius Constant de Gaspard de La Nuit de Maurice Ravel (d’ailleurs pas tout à fait dans le style faussaire !), d’autres préfèreront la version Herbie Hancock du Concerto en Sol.

Il n’empêche que pour avoir déjà joué dans des orchestrations de Ravel prévues pour des effectifs bringuebalant (petit effectif, dont guitare, clavecin, mark tree,…), je trouve l’intérêt de ce genre de démarches limité. Soit on orchestre la musique d’un autre et on le respecte, soit on écrit sa propre musique et on fait ce qu’on veut !

Si je défends donc la deuxième approche de l’orchestration, d’un grand effectif à un petit effectif, il est évident qu’il faut jongler avec les limitations du système des classes : plusieurs élèves, différentes personnalités, différentes motivations, moyens limités pour faire jouer les orchestrations, etc., ce pour quoi le premier système semble le plus satisfaisant : permettre un apprentissage lent et cadré à la plupart des élèves, qui ont souvent besoin d’évoluer dans des cases, au risque d’ennuyer les passionnés, beaucoup plus curieux et autonomes.

Quoi qu’il en soit, chacun peut obtenir d’excellents résultats avec chacune de ces méthodes, je soutiens juste que si un jour l’occasion m’en est donnée, je ferai des essais avec une autre façon d’apprendre l’orchestration…