Quelques remarques sur la “Symphonie n°3” de Gustav Mahler

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Quelques remarques sur la “Symphonie n°3” de Gustav Mahler

Depuis le temps que j’en parlais, je prends enfin le temps de rédiger un article sur la 3è Symphonie de Gustav Mahler !

Cette symphonie, la plus longue de son auteur (près d’une heure trois quarts !), rebute parfois de par ses proportions. Pourtant, se pencher sur cette partition apporte assurément une découverte de la richesse musicale et orchestrationnelle de Mahler, tout autant qu’une émotion très intense. Bien que Mahler ne livre pas de programme particulier avec cette Symphonie, il s’agit d’une évocation de la Création. À l’origine, un septième mouvement devait conclure la Symphonie, mais servit de mouvement final à la symphonie suivante, la Symphonie n°4, d’où une ressemblance thématique importante…

Divisée en deux parties très inégales en durée, la Symphonie n°3 est composée de six mouvements : la première partie est composée du seul premier mouvement (plus de trente minutes !), tandis que la deuxième partie englobe les cinq autres.


Je voudrais vous présenter en particulier le 5è mouvement, le plus court (moins de cinq minutes), et le plus accessible de tous.

Voici d’abord la vidéo, que vous pouvez trouver sur YouTube :

Il serait vain, bien entendu, d’avoir la prétention d’exhaustivité, aussi vais-je me contenter de pointer du doigt quelques pistes, laissant le reste à votre discrétion.

Tout d’abord, il convient de remarquer que ce mouvement fait appel à deux chœurs : un chœur d’enfants et un chœur de femmes, symbolisant les anges (ci-dessous “le chœur” désigne les deux). En concert, ils doivent patienter une heure quarante pour chanter moins de cinq minutes, mais ces quelques pages le valent bien.

Vous noterez ensuite que les violons ne jouent pas une note durant tout ce mouvement !

Tout le long du morceau, le chœur imite les cloches (“bimm”, “bamm”), avec précisément de nombreuses doublures aux cloches tubulaires et au jeu de timbres.

On distingue tout au long du mouvement, la plupart du temps superposés dans des jeux de fugato, le motif bimm-bamm, le motif introduit par les flûtes et clarinettes en levée de la mesure trois, dérivé plus tard en sorte de rupture (chiffre 4), et surtout un motif plus rythmique et fort joyeux en staccato présenté à la mesure 3 par la clarinette base et les bassons.

Après la présentation des éléments, Mahler commence à les développer, jusqu’au chiffre 3, où le discours est interrompu par les violoncelles et altos, chantés, nuançant l’entrain initial.

La suite de cette section continue les opposition et les ruptures : trois clarinettes à l’unisson (quel timbre magnifique !) partant du grave de leur registre, introduisent un élément en doubles-croches ascendantes, accompagnées par des cors staccato, menant à une interruption des hautbois assortis de petites notes, sfz et diminuendo.

À 4, nouvelle rupture, puis reprise du motif des cloches bimm-bamm et de l’ostinato rythmique, avant d’arriver au chiffre 5 (reprenant à peu près le structure de la cinquième mesure de 3 au chiffre 5), où le motif en doubles-croches ascendantes précédemment exposé par les clarinettes est de retour, dans l’aigu, par les flûtes.

Prenez le temps de vous attarder un peu sur l’orchestration de la deuxième mesure du chiffre 5 :

Notez la contrebasse solo avec sourdine, doublée par deux cors bouchés, le contrebasson dans l’aigu, la clarinette basse, et trois clarinettes à l’unisson dans le grave ! Ces timbres extrêmes, riches et inhabituels, forment un “timbre global” tout simplement magnifique !

De nouveau, dialogue des hautbois (avec des rondes fp à deux trompettes en fa avec sourdine, pour souligner les accents et aciduler davantage encore le timbre global), de nouveau rupture, de nouveau les motifs initiaux reprennent le dessus, dans un crescendo important et agité, jusqu’au retour, au chiffre 7, aux violoncelles doublés par deux cors, de l’élément plus mélancolique introduit à 3.

Les éléments initiaux sont ensuite encore développés, avant d’arriver au chiffre 10, où bois et cors annoncent la coda. Après cette sorte de “fanfare” finale récapitulative, les bimm-bamm reprennent le dessus, émaillés de l’ostinato rythmique, et le mouvement se dissout ainsi, avant d’enchaîner au dernier mouvement.

Passez là-aussi un peu de temps à détailler l’orchestration de ces mesures finales :

Les bimm-bamm du chœur (moitié en blanches, moitié en rondes, pour donner un effet de résonances, et de balancier). Du côté des attaques, nous trouvons ensuite le jeu de timbres, le triangle, et les harpes, ainsi que trois bassons, cor anglais, trois hautbois, et quatre piccolos dans le grave (!), en rondes avec fp. Les violoncelles, rejoints peu après par les altos, jouent quant à eux des harmoniques artificielles, ajoutant une sonorité flûtée très claire et douce, mais assez puissante pour colorer les bois et les attaques de jeu de timbres, de triangle et des harpes. À la toute fin, les rondes prédominent, pour estomper le mouvement de balancier, et les harpes jouent en harmoniques leurs dernières mesures.

L’ostinato rythmique passe quant à lui de trois cors à une trompette, puis à deux hautbois et deux clarinettes, avant de rester seulement à la clarinette et disparaître totalement.

Enfin, afin de savourer la richesse harmonique de Mahler et d’avoir le plaisir de la sentir tactilement sous vos doigts, de la goûter, j’ai réduit pour piano deux passages de ce cinquième mouvement : quelques mesures après le chiffre 3 puis au chiffre 5. Au piano, la richesse musicale est déjà manifeste, ajoutez à cela une remarquable orchestration, et la magie de la musique est au rendez-vous ! (si vous êtes au concert, et si vous jouez dans l’orchestre, c’est encore mieux !)

► Extraits du cinquième mouvement réduits pour piano ◄


En bonus, je vous propose aussi la réduction pour piano du début du sixième mouvement (jusqu’au chiffre 4).