Question (non-)existentielle : “Composer”, ou la quête de l’identité

Blog “Dans l’Atelier du Compositeur” & “Sculpteur de Notes”

Question (non-)existentielle : “Composer”, ou la quête de l’identité

, par , dans Dans l’atelier du compositeur, Réflexions / Questionnements —  3 min.

L’une des choses les plus importantes pour un compositeur est à mon sens de ne pas se laisser étiqueter. La question que tout le monde vous pose lorsqu’ils apprennent que vous êtes compositeur : Comment définiriez-vous votre style ? (avec le tutoiement en sus, la plupart du temps) et toutes les variations associées. Question piège s’il en est, et sans intérêt de surcroît.

Un compositeur devrait d’abord être un artisan avant d’être un artiste, et faire son travail du mieux qu’il le peut, avec toute l’honnêteté technique puis artistique dont il est capable. Pour le reste, rares sont les compositeurs qui révolutionnent la musique, on entre là dans la catégorie au-dessus.

J’ai une vision des choses peut-être excessive, mais pour moi il y a deux catégories : d’un côté les compositeurs qui, quels que soient leurs efforts, ne pourront jamais écrire rien d’autre que de la médiocrité (sans la notion péjorative que les temps modernes attribuent à ce mot), parfois de la bonne médiocrité mais rien de plus. De l’autre les génies, qui créent des chefs-d’œuvre mais peuvent être aussi de simples compositeurs. (Pas de suspense ici : je m’auto-classe dans la 1è catégorie.)

La notion de “Création”, avec laquelle on nous rebat les oreilles, prend toute sa relativité avec cette conception. Un compositeur serait plutôt un “Récréateur” qu’un “Créateur”, le dernier terme étant réservé aux génies (je n’aime pas ce mot non plus, mal employé la plupart du temps, mais mon idée est plus intelligible simplifiée de cette façon).

Cela ne veut pourtant pas dire que l’humble compositeur doit se laisser étiqueter au gré des envies, de la méconnaissance et, surtout, de la subjectivité des gens ! Chacun a son propre royaume de culture intérieure, qui regroupe tous les livres, toutes les musiques, tous les films, et tout ce que notre être a absorbé, partiellement ou intégralement, parfois des bribes très sommaires d’ouvrages, parfois des pans entiers, et ce royaume est inaccessible — et ce, irrémédiablement — à autrui. Point. Personne n’a le même royaume intérieur, avec sa classification et son contenu propres.

Lorsque quelqu’un entend votre musique, les filtres de sa subjectivité se déclenchent donc sans même qu’il en ait conscience, et la plupart du temps, ce quelqu’un vous dira que votre musique lui a fait penser à tel ou tel compositeur, à telle ou telle œuvre, ou blablabla.

Et le danger est bien là.

Je ne nie pas l’existence de l’influence, très souterraine et inconsciente, qui est le lot même des plus grands génies. Mais la plupart du temps, les étiquettes que l’on vous colle n’ont aucun trait commun avec la réalité de ces présupposées influences. Et pourtant, que cela vous soit balancé comme compliment ou comme pique d’ego, à partir du moment où l’on vous étiquette, en bien ou en mal, inconsciemment vous tendrez à vous y conformer et à ressembler à ce qu’on vous dit que vous êtes.

Mais cela ne doit pas marcher comme cela. Il faut en être conscient et continuer son propre chemin, en se questionnant sans cesse sur ce que l’on veut soi. Pour cette raison, certains comédiens de théâtre préfèrent ne pas lire les critiques, quelles qu’elles soient, afin de ne pas transformer leur jeu de façon incontrôlée au fil des représentations.

“L’étiquette”, c’est en effet une technique de manipulation très employée dans tous les domaines, pour vous vendre des produits, pour vous dire qui vous êtes (ou plutôt qui l’interlocuteur voudrait vous faire croire que vous êtes), dans l’enseignement, dans l’éducation, etc. Ce n’est pas toujours mauvais en soi, mais dans les “arts”, le seul intérêt de vous y plonger vraiment et d’être honnête, c’est d’apporter votre personnalité, même si elle n’est pas novatrice. Si c’est pour apporter la personnalité que certains projettent que vous ayez, ce n’est pas la peine.

Ne nous leurrons pas : “composer” ce n’est pas écrire des notes — ça ce serait plutôt secondaire —, “composer”, c’est savoir qui on est. Ça demande d’avoir une conscience très aiguë de son identité, mais cela en vaut largement la peine, surtout au XXIè siècle, où nombreuses sont les personnes qui ne savent pas très bien qui elles sont.

Soyez ouverts, mais soyez sûrs de vous et de vos choix. Vous pouvez vous tromper, mais vous vous tromperez de votre façon à vous, ce qui sera toujours plus intéressant que de ne pas vous égarer — ne pas s’égarer, mais au prix de le faire à la façon d’un autre ! On pourra vous critiquer, vous dire que votre œuvre fait penser à ci ou ça, au fond de vous, vous saurez si c’est vrai ou non, et c’est tout ce qui compte.

Décidément, j’aurais dû intituler ce billet Compositeur, ou “con poseur” ?, tiens…