1948 : Karl HADER — “Aus der Werkstatt eines Notenstechers”

Blog “Dans l’Atelier du Compositeur” & “Sculpteur de Notes”

1948 : Karl HADER — “Aus der Werkstatt eines Notenstechers”

1948 : Karl HADER — Aus der Werkstatt eines Notenstechers

Introduction

Toujours dans la Première grande Partie de notre série de lectures critiques — Perspectives Historiques — La Gravure Musicale —, dans ce troisième épisode de la Série Notation & Gravure Musicales au Fil du Temps, nous faisons cette fois-ci un bond de 25 ans en avant dans le temps, puisque l’ouvrage dont je vais vous parler date de 1948, Aus der Werkstatt eines Notenstechers (De l’Atelier du Graveur de Musique), d’un certain Karl Hader.

Vous l’aurez compris, ce troisième livre est rédigé en allemand, et va donc nous offrir les perspectives allemandes d’un graveur de musique, après l’état des lieux en français puis en anglais.

Si la date de parution de ce traité-ci est déjà plus tardive que les deux précédents, celle-ci correspond sans doute aussi à l’apogée de l’art de la gravure musicale par poinçonnage telle que nous le connaissons, artisanat qui ne cessera plus dès lors de décliner pour laisser place à d’autres procédés de préparation des partitions de musique, plus économiques, plus rapides à réaliser, plus commodes aussi, mais pas toujours de la même qualité.

Cette fiche de lecture sera bien plus courte que les deux qui l’ont précédée, à au moins trois titres :

  1. le livre dont nous parlons ici n’est qu’un opuscule particulièrement concis (moins de 80 pages), qui ne se prête guère à un niveau de détail comparable aux traités plus substantiels que nous avons étudiés à ce jour ;
  2. le sujet de la gravure musicale, amplement traité dans les deux Traités étudiés auparavant, est nécessairement source de redondances. Inutile de répéter en boucle ce qui a déjà été dit ;
  3. enfin, je ne parle pas un mot d’allemand, aussi me suis-je aidé d’un traducteur automatique pendant ma lecture, ce qui, quoique remarquablement efficace pour saisir les grandes lignes de ce qui est écrit, clarifié de toute manière par des exemples musicaux, s’avère en pratique assez fastidieux à étudier.

Je tâcherai donc, dans les présentes notes de lecture, de rester à un niveau superficiel, et ne relever que les détails ou anecdotes qui ajoutent à nos deux lectures précédentes.

Les germanophones pourront de toute manière trouver relativement facilement un exemplaire plus ou moins bon marché de cet ouvrage.

J’irai même plus loin, en ce qu’à mon avis, le lecteur désireux d’approfondir sa connaissance de l’art le plus noble de la copie musicale, à savoir la gravure musicale telle qu’elle se pratiquait encore jusqu’à la deuxième moitié du XXè siècle, ne saurait raisonnablement se dispenser de mettre la main sur cette modeste monographie, même sans parler un mot d’allemand, car le petit nombre d’illustrations et photographies qui parsèment ses pages valent amplement le détour.

Hélas, une fois encore, nous ne serons pas en mesure de vous en proposer une copie dans ces lignes, toujours pour des raisons de respect du droit d’auteur.

Préface

Le Traité de Karl Hader s’ouvre sur une préface rédigée par le Docteur Wilhelm Fischer, professeur des universités et Directeur du Conservatoire de Musique de Vienne.

Rien de bien intéressant, si ce n’est que le Dr Karl Fischer vante les qualités du procédé de gravure de musique au plus haut point, jugeant nettement inférieur et souvent moins approprié le procédé de préparation de partitions de musique au moyen de caractères mobiles (procédé typographique, déjà décrit dans les deux premiers ouvrages de cette série de notes de lecture).

Pour le reste, l’ouvrage comble un vide dans le domaine, s’apparentera à un manuel pour l’apprenti graveur, et offrira aux amateurs de musique un aperçu exhaustif de l’art de la gravure musicale. Bla, bla, bla. Une préface, comme presque toutes les préfaces !

Introduction

Dans l’introduction, l’auteur, Karl Hader donc, prétend que l’ouvrage que le lecteur tient entre ses mains est le premier à décrire en détail le procédé et la technique de la gravure musicale.

Comme nous l’avons vu, c’est bien évidemment faux, si l’on prend cette phrase dans le sens strict, mais peut-être vrai si l’on se place du point des Traités rédigés en langue allemande.

C’est d’ailleurs le type de biais qui reviendra d’autres fois dans les livres que nous aborderons dans la suite de cette série, les auteurs semblant souvent peu au fait des ouvrages les ayant précédés dans le domaine.

Reconnaissons cependant qu’à une époque, pas encore si lointaine, la recherche d’un corpus d’ouvrages autour d’un sujet donné devait être autrement plus ardue qu’aujourd’hui où nous disposons d’Internet (quoique, pour entrer véritablement dans un sujet de niche tel que celui-ci, Internet n’en couvre que la surface la plus superficielle, ne remplaçant en rien la traque et l’obtention d’une copie des ouvrages dont nous pouvons identifier les titres grâce à nos recherches en ligne).

Dans cette introduction, Karl Hader souhaite perpétuer le savoir-faire des graveurs de musique Viennois et Autrichiens.

Mais il se pose aussi la question : « Sera-t-il possible de poursuivre cette tradition à l’avenir ? Les connaissances techniques et la qualité de travail resteront-elles au niveau élevé atteint aujourd’hui ? » Je vous le disais, le milieu du XXè siècle est bien l’âge d’or de la gravure de musique, la période où cet art avait atteint son plus haut niveau de perfection (entre les mains du graveur de musique virtuose, cela va sans dire).

Mais ces interrogations font aussi écho à la préface du Docteur Karl Fischer, qui semblait déplorer le peu d’intérêt manifesté envers cette voie professionnelle par la jeune génération.

C’est un fait : déjà à l’époque, la gravure musicale avait amorcé son déclin.

Nous tenons donc peut-être là le témoignage le plus poignant d’un artisanat en train de s’éteindre à petit feu, pour finir par disparaître, comme nous le savons, dans les années 1990. En quelque sorte, un « chant du cygne » de la gravure de musique.

Des Neumes à la Note Gravée

Comme dans les deux précédents Traités, inévitablement, l’auteur consacre quelques pages à l’historique de la notation musicale, ainsi qu’à l’émergence des portées et des symboles musicaux tels que nous les connaissons aujourd’hui, mais aussi à toute la ligné de procédés de préparation musicale ayant conduit à la gravure de musique par poinçonnage : caractères mobiles dans la préparation typographique de musique, gravure pure, et enfin bien sûr, gravure hybride avec éléments poinçonnés (« frappés ») et éléments gravés (hampes, ligatures, lignes supplémentaires, etc.), sans oublier des procédés tombés dans l’oubli ou ayant échoué à faire leurs preuves, tels que des stéréotypes galvanoplastiques ou la machine à écrire la musique.

Karl Hader mentionne l’ironie par laquelle, dans ce siècle de progrès techniques, le procédé autographique, ou « calligraphie typographique », qui vise à imiter la meilleure gravure de musique, en vient à imiter à la main des symboles musicaux mis au point en tant que caractères mobiles ou poinçons ! Comme si la boucle était bouclée, et que du manuscrit, on en revenait… au manuscrit !

Toutefois, ce procédé s’avère un complément utile à la gravure musicale par poinçonnage, tant les coûts en sont inférieurs (dans le cas d’éditions au tirage limité et à l’ampleur commerciale modeste), mais également, tant la gravure véritable requiert de temps pour mener à bien une partition de musique, pour une main-d’œuvre parfois insuffisante : ainsi, d’après Karl Hader, un opéra — c’est-à-dire conducteur d’orchestre, réduction pour piano, parties instrumentales et chorales, pour un total de 1 500 pages ou plus encore — requiert au graveur « diligent » trois ans de travail !

Cela peut laisser songeur le lecteur contemporain, quand on compare la facilité avec laquelle, grâce à un ►logiciel de notation musicale tel que Dorico◄, on est aujourd’hui en mesure de mener à bien ce type de travail pour seulement une fraction du temps requis par la gravure par poinçonnage…

Mais selon Karl Hader, le succès du procédé d’autographie n’entre pas vraiment en concurrence avec la gravure de musique par poinçonnage, autrement plus exigeante et rigoureuse, les deux ayant leur utilité dans des contextes différents (la préparation d’éditions à moindre coût et à petit tirage pour l’autographe, par exemple, et la production d’éditions plus ambitieuses et plus soignées pour la gravure musicale traditionnelle).

L’auteur prédit toutefois l’importance que jouera la photographie à l’avenir, notamment pour réaliser des éditions réduites dites « de poche », et selon lui, l’échec de trouver des substituts crédibles à la gravure musicale se trouve dans la difficulté à réaliser des corrections, simplement et proprement, ainsi que le coût de réalisation peu élevé d’épreuves au pinceau (tirage en négatif) utilisé pour les relectures.

Karl Hader vante ensuite les qualités des graveurs de musique Viennois, mais indique encore une fois le manque de successeurs pour prendre la relève ; en effet, la formation au métier de graveur de musique prend des années au départ, avant d’acquérir une compétence suffisante, puis l’apprentissage se poursuit indéfiniment, l’art du graveur se perfectionnant perpétuellement, au long de toute une vie.

Du Manuscrit à la Gravure

Le Manuscrit

À partir de ce chapitre, des photographies constellent le propos, donnant une image un peu plus précise du travail du graveur de musique.

Contrairement à ses confrères, Karl Hader évoque brièvement les discussions entre l’éditeur et l’imprimeur et le graveur de musique, qui précèdent à la réalisation d’un projet : devis, format et type de papier, procédé d’impression, nombre d’exemplaires, date d’achèvement, etc.

Il explique comment se passe la supervision au sein du département de gravure, et comment le chef du département, généralement un Patron chevronné définit les caractéristiques techniques, la taille et le type de caractères typographique, prépare le manuscrit, puis confie la réalisation du travail à ses graveurs, conjointement au cahier des charges. C’est ensuite ce même chef du département qui s’assure de la qualité irréprochable du travail livré à l’éditeur.

En outre, Karl Hader s’attarde quelque peu sur le cas pénible des manuscrits de mauvaise qualité, et s’insurge contre les trop nombreux raccourcis employés par certains compositeurs, les volets miniatures en tout genre et les pages disparates qui, trop souvent, viennent heurter un travail serein de gravure musicale.

Après ces préliminaires, l’auteur donne quelques principes pour la préparation du manuscrit (disposition en systèmes et pages), qui ne sont pas inintéressants :

  1. S’arranger pour qu’il y ait une tourne possible à la fin de chaque page de droite et, quand c’est impossible, préserver autant que faire se peut l’homogénéité de la page.
  2. Privilégier la régularité, pour offrir la meilleure homogénéité visuelle possible, en évitant les contrastes trop importants, notamment entre deux pages qui se font face.
  3. Prêter attention à la superposition des syllabes, dans les partitions vocales avec des strophes multiples.
  4. Faire en sorte qu’il n’y ait pas de tourne à effectuer, à l’intérieur d’une section de reprise.
  5. Favoriser une mise en pages musicale, afin de mettre en évidence le contenu : débuts de thèmes, phrases musicales, changements structurels (armures, chiffrages de mesures) doivent de préférence se trouver en début de système, sans toutefois créer de disparité trop importante dans la régularité visuelle.

Karl Hader indique que la recherche des tournes doit se planifier méticuleusement, souvent plusieurs pages à l’avance, et le plus souvent, c’est cette recherche des tournes optimales qui affecte la densité finale de la partition (en effet, en fonction des tournes trouvées, cela conduit à une partition plus ou moins serrée dans la largeur, ou au contraire plus ou moins espacée).

Dans la hauteur, d’infimes ajustements effectués par le graveur musical patenté, permettent de parvenir à faire entrer verticalement sur la page toutes les informations. De même, dans une partition de conducteur d’orchestre, on peut économiser un nombre conséquent de pages en omettant dans chaque système les portées musicalement vides (et par là-même réduire les coûts, non seulement en réduisant le nombre de plaques à graver, le temps incompressible nécessaire à la gravure, mais également le nombre de feuilles de papier requises pour le tirage de la partition finale).

Toutefois, l’auteur se garde bien de recommander une trop grande compression horizontale de la musique, qui rend l’étude et la lecture de celle-ci beaucoup plus difficile.

Enfin, toujours pour des raisons pratiques et d’économie des coûts, autant que possible, il est souhaitable de terminer la partition sur une feuille imprimée complète : en effet, en impression « offset », l’impression se fait sur un double-page recto-verso, soit par 4 pages. Il faut donc éviter de déborder d’un multiple de 4 pour seulement une page.

L’Équipement de Travail

Avant de dresser la liste de l’outillage du parfait graveur de musique, Karl Hader commence, une nouvelle fois, par déplorer la désaffection du métier de graveur musical. Il émet donc les plus sérieuses réserves sur l’avenir de ce métier.

La Plaque

S’ensuivent les inévitables discussions sur les plaques de gravure utilisées (à Vienne, les graveurs de musique utilisent des plaques de zinc laminées d’environ 1 mm d’épaisseur, contrairement aux préférences de ►Henri Robert◄ et de ►William Gamble◄), dont je ne vais retenir que le plus important.

Les plaques de zinc ont alors un coût d’achat plusieurs fois inférieur aux plaques de gravure en étain, mais présentent l’inconvénient de ne pouvoir être recyclées aussi facilement par refonte. Les plaques en étain, de par leur teneur en plomb, sont également susceptibles d’entraîner, à la longue et malgré une manipulation précautionneuse, le terrible saturnisme ou « maladie du plomb ».

Karl Hader indique d’ailleurs que lors de la Seconde Guerre Mondiale, les archives des imprimeries musicales, considérables (l’auteur parle de plusieurs millions de plaques de gravure, quoique ce chiffre me paraisse quelque peu excessif), ont été fortement (mais pas complètement) entamées par les besoins en plomb… Finalement, cette remarque concorde assez bien avec ce que relatait déjà William Gamble dans l’entre-deux guerres, du côté Britannique.

L’auteur donne également quelques chiffres intéressants : par exemple, la durée de vie d’une plaque de gravure en zinc est selon lui pratiquement illimitée, réduite seulement par les corrections qui s’additionnent, apportées le plus souvent avant chaque nouvelle édition d’une partition. Autrement, Karl Hader rapporte avoir vu des plaques de zinc supporter au-delà de 1 000 impressions sur presse à imprimer en cuivre. Par ailleurs, la fine couche d’oxyde qui apparaît peu à peu sur les plaques de zinc contribue elle aussi à accroître encore la durée de vie générale de ces plaques.

Enfin, chaque plaque de gravure terminée représente une journée de travail dans la vie du graveur musical…

Les Outils

Ici, Karl Hader nous apprend que les outils de travail du graveur sont sa propriété propre, à l’exception des poinçons en acier (les symboles musicaux, donc), qui appartiennent à l’imprimeur, représentent un coût considérable, et sont pratiquement irremplaçables : la détérioration d’un seul poinçon au sein d’un ensemble de caractères a pour effet d’exclure l’utilisation de tout cet ensemble jusqu’à ce qu’un poinçon de remplacement lui soit substitué.

Un poinçon dans un acier adapté (qualité, dureté), correctement manipulé, peut servir pendant plusieurs décennies. L’auteur fait remarquer qu’au cours de sa durée de vie, un poinçon reçoit plusieurs millions de coups de marteau sur sa partie supérieure, alors que la partie découpée, la partie basse du poinçon qui sert de timbre, ne peut supporter la moindre collision sans subir d’endommagement irréversible.

Nous sont présentés ensuite les autres outils, donc le fameux « rastral » ou, pour employer la terminologie de Henri Robert, le « tire-lignes », qui sert à tracer les portées sur la plaque de gravure.

Le Travail

Le travail se fait en trois temps distincts, et les étapes sont les mêmes que celles décrites par Henri Robert et William Gamble avant lui :

  1. La Disposition et le Dessin
  2. La Frappe et le Planage
  3. La Coupe et le Fini

Le Pointage, Le Tirage des Portées et la Disposition

Karl Hader ajoute cependant quelques détails supplémentaires : ainsi, les différents formats de plaques de gravure sont découpés par les soins du graveur dans des plaques de zinc brutes de plus grandes dimensions, 2 m².

Celui-ci doit également veiller à choisir le meilleur côté pour la gravure, et tenir compte de l’orientation des cristaux, inhérente au processus de laminage de la plaque (le laminoir, comme d’ailleurs pour les plaques métalliques qui servent de base pour la réalisation des ►gongs en tôle martelée de type Paiste, Tone of Life, Oetken ou Gongland◄, induit une orientation particulière des cristaux métalliques, en fonction du sens de passage de la plaque dans le laminoir). Faire l’impasse sur l’identification correcte de l’orientation des cristaux préalablement à la gravure entraînerait des symboles déformés lors de la frappe des poinçons.

La gravure commence ensuite par une discussion sur le manuscrit entre le graveur principal et ses assistants, puis en acceptant un cahier des charges explicite et écrit, en particulier lorsque plusieurs graveurs se partagent la gravure d’une même œuvre.

C’est à ce stade que le graveur demande les éclaircissements éventuellement nécessaires au chef de file. Le reste ressemble de près aux descriptions de Henri Robert et William Gamble.

L’auteur évoque toutefois l’espacement « optique », qui doit prendre en compte l’effet optique que dégage l’espacement (vertical comme horizontal) sur la page, et qui dépasse le strict espacement mathématique pour l’harmonie qu’il dégage. L’espacement doit rester en revanche homogène au sein d’un même système, quoique certains cas de figure présentent des difficultés, comme par exemple les parties vocales, dont les syllabes distordent l’espacement. Le graveur aguerri possède naturellement le savoir-faire et le doigté qui lui permettent de faire face à ces situations délicates.

L’Orthographe Musicale

Karl Hader dresse une liste en 12 points, qui régissent selon lui les lois de l’« orthographe musicale ».

Nous ne les énumérerons pas ici, à l’exception des points 9 : toutes les indications textuelles doivent se faire dans une langue au choix, mais sans mélange ; et 12 : le rendu « optique » doit prévaloir dans toutes les représentations.

L’auteur nous donne ensuite 12 exemples relatifs à cette « orthographe musicale » que doit connaître tout bon graveur, lesquels exemples sont étayés par des figures tout à fait explicites.

Ainsi, il indique que les ligatures croisées ne se rencontrent plus que dans la musique de cithare ou de guitare, mais sont incorrectes pour tous les autres instruments.

Il nous montre quelques notations rythmiques ambiguës entre 3/4 et 6/8, de silences, d’alignement vertical, d’alignement en cas de voix multiples, de placement des altérations qui doit obligatoirement aligner les octaves, et l’exemple 12 nous fait la démonstration de l’espacement optique, supérieur à l’espacement mathématique, en particulier — mais pas seulement — dans les notes inter-portées d’une partition de piano.

Karl Hader indique que la gravure d’une œuvre, à partir du moment de sa prise en charge, tout au long du suivi et jusqu’à son achèvement, engendre une tension chez le graveur, qui déclenche parfois des discussions au sein du groupe de gravure, chacun étant exposé à la critique, y compris le chef d’atelier. Toutefois, ce type d’expérience aboutit souvent à des discussions intéressantes et enrichissantes.

Je ne me souviens pas d’avoir lu autant de mentions (et peut-être même aucune) du travail en équipe dans les Traités respectifs de Henri Robert et William Gamble.

Karl Hader dresse ensuite une courte liste d’exceptions, illustrée elle aussi et tout à fait éclairante, présentant quelques cas de figures qui demandent une bonne dose de logique, de sens pratique et de savoir-faire de la part du graveur.

La Frappe

L’auteur nous donne, dans les grandes lignes, les techniques qui prévalent quant à la frappe des poinçons : comme Henri Robert et William Gamble l’avaient déjà fait remarquer, malgré l’apparence simple de cette partie du travail, sa réalisation demande en réalité un grand savoir-faire et beaucoup de doigté, chaque poinçon requérant une frappe légèrement différente et homogène : ni trop profond, ni pas assez, et surtout, une grande régularité pour éviter les disparités de profondeur !

Chaque coup de poinçon provoque une déformation de la plaque de gravure, qui doit être par la suite corrigée.

Il note que les poinçons destinés à la frappe sur plaques de zinc sont d’une forme légèrement différente de ceux destinés à la frappe sur plaques d’étain. Il révèle d’ailleurs que c’est la raison pour laquelle les ateliers de gravure musicale viennois travaillent sur plaques de zinc : en effet, la mise en place d’un atelier de gravure nécessite, dès la sélection de l’outillage à acquérir, de choisir si le travail sera réalisé sur l’un ou l’autre de ces médiums. L’outillage étant différent entre les deux, tout choix ultérieur d’aller à l’encontre de ce choix initial entraînerait la nécessité de renouveler complètement les collections de poinçons, et affecterait également la technique du graveur, qui devrait alors apporter des ajustements à sa technique et quant à la manière de frapper les poinçons sur la plaque de métal.

Karl Hader conclut cette section en nous donnant des chiffres tout à fait révélateurs :

Pour une page-type d’une partition piano-chant quelconque, dotée de cinq systèmes, le nombre de poinçons sur une page s’élève à environ 1 155. Sachant qu’il faut de un à trois coups de marteau par poinçon en fonction du symbole, prenons une moyenne de 2 300 coups de poinçon par plaque de gravure. En admettant que le graveur parvienne à un rendement quotidien de trois plaques (ce qui contrasterait donc avec le chiffre indiqué plus haut d’une plaque terminée par jour et par graveur), cela monte à plus ou moins 7 000 coups de marteau par jour !

Il faut garder en tête que ces statistiques sont fortement dépendantes de la musique, mais cela nous donne malgré tout un ordre d’idée. On peut sans peine imaginer les pathologies dues à ce type de travail répétitif et exigeant : tendinites, syndrome du canal carpien…

La Gravure Véritable

Le travail de gravure se poursuit avec la gravure, véritable gravure cette fois-ci, et non plus poinçonnage, des hampes, ligatures, lignes supplémentaires, liaisons, barres de mesure, soufflets de crescendo, de diminuendo, etc.

Il ne faut pas oublier, en fin de travail, de tirer une nouvelle fois les portées, celles-ci ayant été comprimées par le travail de frappe des poinçons. Les lignes supplémentaires doivent être légèrement plus marquées (épaisses) que les lignes de la portée.

La gravure des hampes et des ligatures doit veiller à ne pas former d’espaces où les encres d’impression pourraient former un encrassement disgracieux. Mais tout ceci est un sujet bien ardu à condenser en seulement quelques lignes. Qui plus est, le sujet est abordé en plus grand détail (on pourrait même dire « avec force détails »), et avec des exemples musicaux qui rendent cette discussion infiniment plus claire dans l’ouvrage incontournable de Ted Ross The Art of Music Engraving and Processing: A Complete Manual, Reference and Text Book on Preparing Music for Reproduction and Print, que nous aurons l’occasion de couvrir par la suite dans cette série.

Après la gravure des hampes et ligatures, les « drapeaux » de croche (les « crochets ») doivent être poinçonnés au bout des croches et multi-croches isolées.

La Correction

Une fois la plaque de gravure terminée, a lieu le tirage de l’épreuve de correction, la relecture, l’identification des fautes et erreurs, puis la correction sur la plaque de gravure (se reporter à l’article autour du Traité de Henri Robert, dans lequel nous décrivons de manière synthétique le processus de correction de la plaque d’étain).

Une correction bien réalisée est invisible à l’impression. En revanche, pour des corrections importantes, il peut être plus judicieux (et plus économique) de recommencer avec une nouvelle plaque.

Une fois les erreurs de la responsabilité du graveur éliminées, le tirage des épreuves de correction est réalisé dans le nombre convenu avec l’éditeur, puis soumis à celui-ci pour relecture et correction. Ainsi se termine le travail du graveur de musique jusqu’à réception d’une éventuelle révision.

Table des Illustrations

Cette table des illustrations (mêlant figures et photographies), placée en fin d’ouvrage, permet d’identifier et trouver facilement les illustrations correspondantes au sein de l’ouvrage.

En Conclusion : Mon Avis sur ce Livre

Alors que je pensais vous livrer ici une fiche de lecture superficielle, vous n’aurez pas manqué de constater qu’en vérité, j’ai atteint la même longueur dans mes notes de lecture que pour le Traité de Henri Robert.

En effet, malgré son format bien plus réduit, en nombre de pages, que les deux Traités qui nous ont ici intéressé précédemment, cet opuscule est d’une richesse certaine, car il nous livre ici quelques informations inédites (quelques chiffres), aborde l’espacement « optique », et nous donne un point de vue différent sur le métier de graveur de musique, spécifiquement sur la répartition du travail de gravure musicale en équipes, à Vienne, au milieu du XXè siècle.

C’est aussi, malheureusement, un ouvrage qui met en lumière le déclin imminent et, déjà semble-t-il bien amorcé, de l’artisanat de la gravure musicale sur plaques métalliques par frappe de poinçons des symboles musicaux, même à cette époque déjà lointaine.

Seule contrainte de lecture : la rédaction de ce livre en langue allemande, qui rebutera plus d’un lecteur j’en suis sûr, peut-être davantage encore que l’anglais.

Pourtant, les photographies et la clarté des quelques figures musicales présentées valent à elles-seules le détour.

Je recommande donc cet ouvrage à tout passionné de gravure musicale, qui souhaiterait étendre ses connaissances et ses horizons, en gardant bien sûr à l’esprit qu’aucun savoir acquis dans ses quelques pages ne saurait s’appliquer immédiatement et tel quel sur un logiciel de notation musicale tel que Dorico.

Ainsi s’achève la Première grande Partie de notre série de lectures critiques : Perspectives Historiques — La Gravure Musicale. Dès le prochain article, nous entreprendrons la Deuxième grande Partie : La Période Intermédiaire — La Copie Manuscrite de Partitions.